COLORADO
Le chanteur français a fait salle comble en concert et
rencontré les élèves de l’École
internationale
Les Français des États-Unis appelés
aux urnes
Emmanuel Bidan, professeur de français à la «
Denver International School », est tombé dans la
marmite « Téléphone » tout petit.
Fan du célèbre groupe qui a secoué la scène
rock dans l’Hexagone de 1976 à 1986, il a eu l’idée
de mettre en place une expérience pédagogique
originale dans son école aux États-Unis, consistant
à faire travailler ses jeunes élèves sur
des textes de Jean-Louis Aubert, le charismatique leader du
groupe phare de sa jeunesse.
Le
hasard a fait qu’Emmanuel a rencontré Jean-Louis
Aubert à Paris il y a quelques mois. Enthousiasmé
par ce projet (voir France-Amérique daté du 26
février-4 mars), le musicien a tout de suite donné
son accord pour venir à la rencontre des élèves
d’Emmanuel. Le 9 mars, il a donné un concert à
Denver devant une salle comble.
Ce
concert fut exceptionnel à plusieurs titres. Tout d’abord,
la venue de Jean-Louis Aubert s’est décidée
sur un coup de cœur pour l’initiative de «
Manu » Bidan. Ensuite, avec son ami Thomas Semence, avec
leurs seules guitares acoustiques, il a rempli l’auditorium
de Denver University (DU), un lieu plus utilisé pour
héberger des conférences magistrales que pour
servir de scène à un rocker français.
Pour
Jean-Louis Aubert enfin, son passage à Denver s’est
apparenté à un voyage rempli de découvertes
et de rencontres plutôt qu’à une seule soirée
de représentation. Il a en effet passé du temps
avec les élèves de D.I.S et les étudiants
de D.U.
Après
le concert, le chanteur, décontracté et très
disponible comme à son habitude, nous a fait part de
ses réflexions sur son « aventure » à
Denver. Il a aussi parlé de sa passion pour la musique
et évoqué son amour des mots, souvent d’ailleurs
en jouant avec eux ! Il est revenu sur le phénomène
« Téléphone », a parlé de son
prochain album et confié son admiration pour les Beatles
et Bob Dylan…
FRANCE-AMÉRIQUE
- Que vous inspire ce voyage à Denver ?
Jean-Louis AUBERT - J’adore voyager... Dans les voyages
on se retrouve aussi soi même certainement. La musique
a aussi cet aspect vagabond ; elle a des ailes. Les gens emportent
les chansons et elles voyagent très loin. C’est
gratifiant, c’est un honneur de voir que mes chansons
se retrouvent dans la bouche et dans les oreilles de jeunes
Américains ici à Denver. Un voyage comme celui-ci
peut être très motivant, par exemple dans la perspective
d’un prochain album. On est arrivé sans nos guitares
qui n’ont pas été acceptées dans
l’avion. On a finalement tout trouvé sur place,
et puis on a bricolé…
Il
est toujours intéressant de constater que les gens perçoivent
de façons très différentes le sens de vos
chansons. Est-ce le résultat d’une démarche
volontaire de votre part ?
J’aime beaucoup les chansons qu’on peut interpréter
différemment. Je suis parfois un peu critiqué
pour une certaine imprécision, mais c’est ce que
je recherche.
Une
chanson n’est pas quelque chose de figé, elle évolue
avec l’artiste et aussi avec le public. Pour les textes
d’autres artistes, c’est pareil. J’interprète
« Je t'ai dans la peau », de Piaf et Bécaud
; eh bien, on peut y voir soit une référence évidente
à l’amour, soit une allusion à une dépendance
forte (NDLR : l’alcool ou la morphine pour Piaf, à
la suite notamment de forte doses reçues après
un accident de voiture).
Dans mes concerts, j’aime beaucoup mettre en parallèle
des chansons du passé et de maintenant ; elles se renvoient
la balle et j’en suis surpris moi-même, lorsque
je constate que des thèmes forts reviennent vingt ans
après. Sur scène, le mélange constitue
un bloc, une histoire…
Une
des chansons que vous avez interprétées ici à
Denver fait directement référence à votre
première expérience aux États-Unis…
J’ai écrit ce texte à 17 ans lors de mon
premier séjour, pendant lequel j’avais mon «
Kerouac » dans la poche. J’aime beaucoup cette chanson,
elle pourrait presque dire toute seule pourquoi je viens ici
maintenant à Denver ; « …rouler toute la
nuit et la journée entière, pour savoir où
on va et pourquoi on y va… je cours après un rêve
dans mon cœur accroché qui me crève la peau
sans jamais se montrer… ».
Ça
veut dire que trente ans après c’est toujours un
peu le même rêve qui me poursuit… C’est
ça qui me fait toujours avancer. La chanson me va bien…
Je suis moi-même continuellement, comme je l’ai
écrit à cette époque, « … sur
la route… un peu en déroute… ». Ce
texte me parle beaucoup. Je fais aussi souvent des chansons
pour moi, comme si c’était un grand frère
qui me parlait ; et puis la chanson rebondit, « ricoche
» sur l’eau à l’image d’un petit
galet et finalement va vers le public et le touche, lui aussi.
Qu’avez-vous
découvert et appris lors de ce voyage « initiatique
» ?
Ce voyage m’a structuré et — paradoxalement
— c’est ça qui m’a donné l’envie
et le goût de chanter en français. C’est
aux U.S. que je me suis aperçu que j’étais
français ; j’avais des choses différentes.
En rentrant en France, j’ai eu plein de choses à
raconter, des aventures à décrire ; un peu «à
la Ulysse » ! À cette époque — et
c’est sûrement encore vrai maintenant — on
trouvait aux États-Unis beaucoup de choses qui allaient
arriver, ensuite, ailleurs…des mouvements ayant trait
à l’aspect social, à la psychologie, aux
rapports à la télévision et aux media par
exemple.
Ce
voyage m’a énormément apporté parce
que j’ai vu ce qui allait arriver.
C’est vrai que si je vivais longtemps aux U.S. j’écrirais
sûrement en anglais. J’aime beaucoup le français
mais comme je l’ai dit aux étudiants de Denver
University, « Je pense qu’il faut écrire
dans la langue dans laquelle on rêve ». Quand on
se met à rêver dans une langue, les mots ont une
couleur, ils ont un rapport avec l’inconscient, on peut
jouer avec eux.
Mais
ce n’est finalement peut être qu’une idée
très française tout ça, celle qui consiste
à tourner autour des mots pour définir quelque
chose… Je leur ai d’ailleurs appris un mot aux étudiants
: « circonvolution », qui n’est pas un mot
qui va droit au but !
Vous
êtes compositeur-interprète. Entre les mots et
la musique, votre cœur balance ?
La musique, je l’assimile à un geste naturel comme
ma respiration. J’adore jouer, improviser, faire des bœufs.
Les paroles, il faut en revanche aller les chercher à
l’intérieur de soi. C’est une démarche
plus longue.
J’adore toujours bricoler la musique, pour raconter mes
espérances car j’ai du mal à concevoir des
chansons totalement noires. Je raconte parfois la nuit mais
avec des fenêtres allumées et j’imagine qu’a
travers elles, se passent de jolies choses…
Mais
ce que je dis peut être triste car je décris ce
monde qui est un peu dur, très dur même quelquefois.
Cependant, rien qu’à cause de la musique et du
rythme il y a toujours une espérance, quelque chose d’utopique,
quelque chose qui dit de toute façon, « Le jour
se lève encore » (NDLR : référence
au texte de la chanson co-signée Jean Louis Aubert et
Barbara). Quelles sont vos influences musicales ?
J’ai
joué avec des artistes black « hip hop »
en Suède ; j’écoute beaucoup de Reggae,
une musique où le soleil, la violence et la douceur sont
mélangés et je suis toujours fan de musique anglaise.
Bien sûr, il y a les Beatles ; comme je construis un album
en ce moment, je mets de la musique « éducative
» et les Beatles c’est comme Mozart, c’est
toujours une leçon d’académisme. Avec les
Stones en revanche, c’est beaucoup moins académique,
beaucoup plus d’énergie pure.
Les
influences viennent aussi des musiciens avec lesquels je joue
; ils sont jeunes, et pourraient être mes enfants ! Avec
Thomas (NDLR : Thomas Semence qui a accompagné à
la guitare et au piano Jean-Louis Aubert lors du concert de
Denver), on a une culture commune, même si il me fait
découvrir des choses nouvelles. On en revient aussi aux
« fondamentaux » ; on est obligé d’aimer
les Beatles par exemple.
Quant
aux artistes que j’aimerais fréquenter, je fantasme
toujours sur Bob Dylan ! Ce serait un plaisir de le rencontrer,
de jouer avec lui. Je trouve qu’il a su rester simple,
à la façon d’un artisan. Le métier
d’artiste n’est pas toujours une activité
financière; parfois les disques se vendent moins. C’est
plutôt une œuvre de voyage que construisent des artistes
comme Dylan.
Votre
voix est aussi votre deuxième instrument ; l’entretenez
vous ? Vous fumez beaucoup !
Oui, je chante et je fume ! Un peu comme Churchill à
qui on demandait comment il faisait pour rester en forme et
il répondait : « No sport ! ». En fait, il
y a une chose très importante qu’on apprend, dans
des cours de chant en France, c’est à s’appuyer
sur les sons, sur les consonnes, bref sur les mots. Quand on
aime bien les mots, on les articule et c’est comme cela
qu’il faut chanter. Il y a des gens qui essaient de cacher
leurs mots, c’est comme dans la vie… ils cachent
les mots, masquent leurs maux… Pour chanter, il faut s’appuyer
sur les mots, c’est un tremplin. Je ne me suis pas cassé
la voix car j’aime les mots, je les articule, je ne fais
pas semblant. Il faut faire attention car ce sont les mots qui
parfois tranchent la gorge si on ne les dit pas…
Un
album est prévu prochainement.
Je voudrais un album pur, mais c’est très dur d’arriver
à une forme à la fois dépouillée
et artistique. Je collaborerai toujours avec Richard Kolinka
(NDLR : ancien batteur de Téléphone), un batteur
très fou un peu à la manière des Who, plus
symphonique que rythmique et capable de mettre un coup de cymbale
sur un mot parce que ce mot lui plaît.
Seriez
vous prêt à refaire cette expérience, «
à la Denver » ?
Bien sûr, je suis toujours prêt à mener ce
genre d’aventures. Je pourrais courir encore le monde
avec ma guitare, car cet instrument est un passeport formidable.
Quand on est le musicien, on draine autour de soi une ambiance
festive. J’ai précédemment traversé
les U.S. en stop, avec ma guitare. Je n’ai jamais dormi
dans un hôtel durant cette période. Quand on voit
un musicien, on l’invite, on l’accueille car c’est
un troubadour qui passe…
J’aime
ce côté artisanal car après tout, une guitare
a un aspect ancestral, on joue sur des fils de fer. Et encore
une fois, il y a cet aspect pacifique de la musique et du musicien.
Par
Vincent TRINQUESSE
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