Source : site Internet France Amérique (Edition internationale du Figaro publiée à New-York)
Le courrier Français des Etats-Unis - Mars 2005

COLORADO
Le chanteur français a fait salle comble en concert et rencontré les élèves de l’École internationale


Les Français des États-Unis appelés aux urnes


Emmanuel Bidan, professeur de français à la « Denver International School », est tombé dans la marmite « Téléphone » tout petit. Fan du célèbre groupe qui a secoué la scène rock dans l’Hexagone de 1976 à 1986, il a eu l’idée de mettre en place une expérience pédagogique originale dans son école aux États-Unis, consistant à faire travailler ses jeunes élèves sur des textes de Jean-Louis Aubert, le charismatique leader du groupe phare de sa jeunesse.

Le hasard a fait qu’Emmanuel a rencontré Jean-Louis Aubert à Paris il y a quelques mois. Enthousiasmé par ce projet (voir France-Amérique daté du 26 février-4 mars), le musicien a tout de suite donné son accord pour venir à la rencontre des élèves d’Emmanuel. Le 9 mars, il a donné un concert à Denver devant une salle comble.

Ce concert fut exceptionnel à plusieurs titres. Tout d’abord, la venue de Jean-Louis Aubert s’est décidée sur un coup de cœur pour l’initiative de « Manu » Bidan. Ensuite, avec son ami Thomas Semence, avec leurs seules guitares acoustiques, il a rempli l’auditorium de Denver University (DU), un lieu plus utilisé pour héberger des conférences magistrales que pour servir de scène à un rocker français.

Pour Jean-Louis Aubert enfin, son passage à Denver s’est apparenté à un voyage rempli de découvertes et de rencontres plutôt qu’à une seule soirée de représentation. Il a en effet passé du temps avec les élèves de D.I.S et les étudiants de D.U.

Après le concert, le chanteur, décontracté et très disponible comme à son habitude, nous a fait part de ses réflexions sur son « aventure » à Denver. Il a aussi parlé de sa passion pour la musique et évoqué son amour des mots, souvent d’ailleurs en jouant avec eux ! Il est revenu sur le phénomène « Téléphone », a parlé de son prochain album et confié son admiration pour les Beatles et Bob Dylan…

FRANCE-AMÉRIQUE - Que vous inspire ce voyage à Denver ?
Jean-Louis AUBERT - J’adore voyager... Dans les voyages on se retrouve aussi soi même certainement. La musique a aussi cet aspect vagabond ; elle a des ailes. Les gens emportent les chansons et elles voyagent très loin. C’est gratifiant, c’est un honneur de voir que mes chansons se retrouvent dans la bouche et dans les oreilles de jeunes Américains ici à Denver. Un voyage comme celui-ci peut être très motivant, par exemple dans la perspective d’un prochain album. On est arrivé sans nos guitares qui n’ont pas été acceptées dans l’avion. On a finalement tout trouvé sur place, et puis on a bricolé…

Il est toujours intéressant de constater que les gens perçoivent de façons très différentes le sens de vos chansons. Est-ce le résultat d’une démarche volontaire de votre part ?
J’aime beaucoup les chansons qu’on peut interpréter différemment. Je suis parfois un peu critiqué pour une certaine imprécision, mais c’est ce que je recherche.

Une chanson n’est pas quelque chose de figé, elle évolue avec l’artiste et aussi avec le public. Pour les textes d’autres artistes, c’est pareil. J’interprète « Je t'ai dans la peau », de Piaf et Bécaud ; eh bien, on peut y voir soit une référence évidente à l’amour, soit une allusion à une dépendance forte (NDLR : l’alcool ou la morphine pour Piaf, à la suite notamment de forte doses reçues après un accident de voiture).
Dans mes concerts, j’aime beaucoup mettre en parallèle des chansons du passé et de maintenant ; elles se renvoient la balle et j’en suis surpris moi-même, lorsque je constate que des thèmes forts reviennent vingt ans après. Sur scène, le mélange constitue un bloc, une histoire…

Une des chansons que vous avez interprétées ici à Denver fait directement référence à votre première expérience aux États-Unis…
J’ai écrit ce texte à 17 ans lors de mon premier séjour, pendant lequel j’avais mon « Kerouac » dans la poche. J’aime beaucoup cette chanson, elle pourrait presque dire toute seule pourquoi je viens ici maintenant à Denver ; « …rouler toute la nuit et la journée entière, pour savoir où on va et pourquoi on y va… je cours après un rêve dans mon cœur accroché qui me crève la peau sans jamais se montrer… ».

Ça veut dire que trente ans après c’est toujours un peu le même rêve qui me poursuit… C’est ça qui me fait toujours avancer. La chanson me va bien… Je suis moi-même continuellement, comme je l’ai écrit à cette époque, « … sur la route… un peu en déroute… ». Ce texte me parle beaucoup. Je fais aussi souvent des chansons pour moi, comme si c’était un grand frère qui me parlait ; et puis la chanson rebondit, « ricoche » sur l’eau à l’image d’un petit galet et finalement va vers le public et le touche, lui aussi.

Qu’avez-vous découvert et appris lors de ce voyage « initiatique » ?
Ce voyage m’a structuré et — paradoxalement — c’est ça qui m’a donné l’envie et le goût de chanter en français. C’est aux U.S. que je me suis aperçu que j’étais français ; j’avais des choses différentes. En rentrant en France, j’ai eu plein de choses à raconter, des aventures à décrire ; un peu «à la Ulysse » ! À cette époque — et c’est sûrement encore vrai maintenant — on trouvait aux États-Unis beaucoup de choses qui allaient arriver, ensuite, ailleurs…des mouvements ayant trait à l’aspect social, à la psychologie, aux rapports à la télévision et aux media par exemple.

Ce voyage m’a énormément apporté parce que j’ai vu ce qui allait arriver.
C’est vrai que si je vivais longtemps aux U.S. j’écrirais sûrement en anglais. J’aime beaucoup le français mais comme je l’ai dit aux étudiants de Denver University, « Je pense qu’il faut écrire dans la langue dans laquelle on rêve ». Quand on se met à rêver dans une langue, les mots ont une couleur, ils ont un rapport avec l’inconscient, on peut jouer avec eux.

Mais ce n’est finalement peut être qu’une idée très française tout ça, celle qui consiste à tourner autour des mots pour définir quelque chose… Je leur ai d’ailleurs appris un mot aux étudiants : « circonvolution », qui n’est pas un mot qui va droit au but !

Vous êtes compositeur-interprète. Entre les mots et la musique, votre cœur balance ?
La musique, je l’assimile à un geste naturel comme ma respiration. J’adore jouer, improviser, faire des bœufs. Les paroles, il faut en revanche aller les chercher à l’intérieur de soi. C’est une démarche plus longue.
J’adore toujours bricoler la musique, pour raconter mes espérances car j’ai du mal à concevoir des chansons totalement noires. Je raconte parfois la nuit mais avec des fenêtres allumées et j’imagine qu’a travers elles, se passent de jolies choses…

Mais ce que je dis peut être triste car je décris ce monde qui est un peu dur, très dur même quelquefois. Cependant, rien qu’à cause de la musique et du rythme il y a toujours une espérance, quelque chose d’utopique, quelque chose qui dit de toute façon, « Le jour se lève encore » (NDLR : référence au texte de la chanson co-signée Jean Louis Aubert et Barbara). Quelles sont vos influences musicales ?

J’ai joué avec des artistes black « hip hop » en Suède ; j’écoute beaucoup de Reggae, une musique où le soleil, la violence et la douceur sont mélangés et je suis toujours fan de musique anglaise. Bien sûr, il y a les Beatles ; comme je construis un album en ce moment, je mets de la musique « éducative » et les Beatles c’est comme Mozart, c’est toujours une leçon d’académisme. Avec les Stones en revanche, c’est beaucoup moins académique, beaucoup plus d’énergie pure.

Les influences viennent aussi des musiciens avec lesquels je joue ; ils sont jeunes, et pourraient être mes enfants ! Avec Thomas (NDLR : Thomas Semence qui a accompagné à la guitare et au piano Jean-Louis Aubert lors du concert de Denver), on a une culture commune, même si il me fait découvrir des choses nouvelles. On en revient aussi aux « fondamentaux » ; on est obligé d’aimer les Beatles par exemple.

Quant aux artistes que j’aimerais fréquenter, je fantasme toujours sur Bob Dylan ! Ce serait un plaisir de le rencontrer, de jouer avec lui. Je trouve qu’il a su rester simple, à la façon d’un artisan. Le métier d’artiste n’est pas toujours une activité financière; parfois les disques se vendent moins. C’est plutôt une œuvre de voyage que construisent des artistes comme Dylan.

Votre voix est aussi votre deuxième instrument ; l’entretenez vous ? Vous fumez beaucoup !
Oui, je chante et je fume ! Un peu comme Churchill à qui on demandait comment il faisait pour rester en forme et il répondait : « No sport ! ». En fait, il y a une chose très importante qu’on apprend, dans des cours de chant en France, c’est à s’appuyer sur les sons, sur les consonnes, bref sur les mots. Quand on aime bien les mots, on les articule et c’est comme cela qu’il faut chanter. Il y a des gens qui essaient de cacher leurs mots, c’est comme dans la vie… ils cachent les mots, masquent leurs maux… Pour chanter, il faut s’appuyer sur les mots, c’est un tremplin. Je ne me suis pas cassé la voix car j’aime les mots, je les articule, je ne fais pas semblant. Il faut faire attention car ce sont les mots qui parfois tranchent la gorge si on ne les dit pas…

Un album est prévu prochainement.
Je voudrais un album pur, mais c’est très dur d’arriver à une forme à la fois dépouillée et artistique. Je collaborerai toujours avec Richard Kolinka (NDLR : ancien batteur de Téléphone), un batteur très fou un peu à la manière des Who, plus symphonique que rythmique et capable de mettre un coup de cymbale sur un mot parce que ce mot lui plaît.

Seriez vous prêt à refaire cette expérience, « à la Denver » ?
Bien sûr, je suis toujours prêt à mener ce genre d’aventures. Je pourrais courir encore le monde avec ma guitare, car cet instrument est un passeport formidable. Quand on est le musicien, on draine autour de soi une ambiance festive. J’ai précédemment traversé les U.S. en stop, avec ma guitare. Je n’ai jamais dormi dans un hôtel durant cette période. Quand on voit un musicien, on l’invite, on l’accueille car c’est un troubadour qui passe…

J’aime ce côté artisanal car après tout, une guitare a un aspect ancestral, on joue sur des fils de fer. Et encore une fois, il y a cet aspect pacifique de la musique et du musicien.

Par Vincent TRINQUESSE


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